Selon les derniers chiffres, 25 000 personnes ignoreraient leur séropositivité en France. Et 6 000 la découvriraient chaque année. Comment l’expliquez-vous ?

Florence Thune D’abord, par la peur du dépistage, qui reste très prégnante. Le VIH s’accompagne de craintes fantasmatiques qui poussent les gens à reporter cette démarche. Ils se disent : « Que va-t-il m’arriver si jamais je suis séropositif ? » Beaucoup aussi ne se sentent pas concernés. Ce qui expli- que que, parmi les 6 000 découvertes annuelles, plus d’un quart (27 %) se font à un stade avancé de la maladie. Ces personnes, pour la plupart, ont eu des signes qui auraient dû les conduire vers un dépistage, mais elles ne l’ont pas engagé assez tôt. Le réflexe du dépistage n’est pas là, y compris de la part du corps médical. Et à plus forte raison pour les plus de 50 ans, qui représentent pourtant 20 % des nouvelles découvertes de contamination.

Comment améliorer ce dépistage ? La campagne du gouvernement peut-elle aider ?

Florence Thune Elle va permettre de rappeler les différents lieux et moyens de se faire dépister : par le biais d’un test en laboratoire, prescrit par son médecin, ce qui reste la voie classique ; chez soi, via les autotests, malheureusement trop chers ; grâce aux associations, qui mettent en œuvre les Trod (tests rapides d’orientation diagnostique), qui livrent leur résultat en moins de 30 minutes ; ou enfin, dans les centres de dépistage gratuit et anonyme… La campagne et ses affiches ciblent aussi différentes populations, utilisant le système de « prévention par les pairs ». Cela peut être efficace.

Les sondages montrent toutefois une grande méconnaissance du virus et de la maladie, chez les jeunes en particulier. Inquiétant ?

Florence Thune Oui, d’autant que cela augmente. L’enquête que nous avions publiée au printemps montre que les fausses idées sur les modes de contamination progressent : en embrassant quelqu’un sur la bouche, ou en ayant un rapport sexuel protégé, par exemple. Et le dernier sondage commandé par Aides illustre ces peurs irrationnelles liées au VIH : entre 20 % et 30 %des personnes interrogées avouent leur « malaise » à l’idée que leur enfant ait un professeur séropositif ou de côtoyer un collègue infecté par le VIH. Et cela ne va pas en s’arrangeant. 10 à 20 % des jeunes seulement ont bénéficié des trois séances annuelles d’éducation à la sexualité prévues par la loi. Et la visibilité des personnes vivant avec le VIH recule elle aussi. Résultat : les jeunes se sentent moins concernés.

Vous vivez avec le VIH depuis vingt et un ans maintenant. Comment a évolué votre prise en charge ?

Florence Thune Comme les autres, j’avance avec la science. Je n’ai pas été mise sous traitement immédiatement car, à l’époque, les effets secondaires étaient très lourds et les médecins attendaient au maximum. Je le suis depuis dix-huit ans, avec des hauts et des bas. Paradoxalement, les effets secondaires ont été plus forts ces dernières années. Mais la prise en charge hospitalière, elle, s’est allégée : d’une visite tous les trois mois, je suis passée à une visite annuelle, désormais. Mon inquiétude, c’est plutôt l’avenir : que se passera-t-il dans dix ans, quand j’aurai trente ans de prise de médicaments quotidienne derrière moi ?

Vous continuez à faire face à des discriminations liées à votre statut sérologique ?

Florence Thune Oui, des discriminations… disons « légales », comme la difficulté, voire l’impossibilité, d’accéder à un prêt pour un logement, ou à des produits d’épargne de type assurance-vie, pour préparer sa retraite. Il y a vingt ans, je ne m’imaginais pas préparer ma retraite. Maintenant, j’essaie, mais c’est compliqué. Des discriminations plus surprenantes aussi, venant de professionnels de santé, comme un refus de soins par un dentiste, ou des questions extrêmement déroutantes formulées par d’autres médecins. Heureusement, je n’ai eu aucun rejet dans mon entourage proche, familial et amical.