«Je vais prendre la parole dans dix minutes, parce que, dans un quart d’heure, il faut se remettre au boulot ! » Peu avant vingt heures, François Ruffin lève le doute devant les quelques dizaines de militants de « Picardie debout ! » réunis pour la soirée électorale dans une petite salle communale de Saint-Maurice, vieux quartier populaire amiénois. Avec 24,32 % des suffrages exprimés, le journaliste, réalisateur du film Merci patron ! et candidat soutenu par le PCF, EELV et la France insoumise, est qualifié pour le second tour de la législative dans la première circonscription de la Somme. Il arrive en deuxième position, derrière le maire d’Abbeville, Nicolas Dumont (34,13 %), élu maire d’Abbeville depuis 2008 sous l’étiquette socialiste qu’il a opportunément changée pour ce scrutin pour une étiquette de la République en marche.

Cette première circonscription de la Somme n’est pas tout à fait comme les autres. Ancien fief du communiste Maxime Gremetz, elle est symbolique des terres ouvrières minées par la désindustrialisation. Ici, c’est Marine Le Pen qui était arrivée en tête de la présidentielle, avec 28,8 % des voix au premier tour et 42 % au second. Pour la législative, l’extrême droite y avait dépêché une « personnalité » : le comédien Franck de Lapersonne. Beaucoup s’attendaient à le voir accéder au second tour. François Ruffin lui-même, il y a quelques semaines, estimait que « n’importe qui avec l’étiquette FN ferait au moins 30 % sur cette circonscription ». Franck de Lapersonne, après une campagne calamiteuse, ne récolte finalement que 15,94 % des votes. Un recul qui semble surtout profiter au candidat de la gauche rassemblée. « Ici, c’est clair que c’est maintenant nous qui incarnons la ligne antifinance, la ligne anti-Macron. » « Les électeurs reprennent leurs voix, abonde sa suppléante Zoé Debureaux (PCF). Nous avons permis de canaliser la colère des gens dans un vote bien plus constructif que le vote FN. »

Hormis le FN, l’autre grand perdant de la circonscription, c’est le PS. La sortante Pascale Boistard, ancienne secrétaire d’État de Manuel Valls, n’a pas vu venir la claque : avec seulement 7,06 %, elle est balayée. Simple question d’étiquette ? Dans la deuxième circonscription voisine, sa collègue du gouvernement, Barbara Pompili, arrive largement en tête. Sauf qu’elle se présentait avec le label REM.

Dénoncer ces étiquettes qui lavent plus blanc que blanc les « apparatchiks », « démasquer Nicolas Dumont », c’est l’objectif que se fixe François Ruffin d’ici le second tour : « Il se cache. Je lui ai demandé ce qu’il voterait sur la baisse des petites retraites, sur la suppression de 120 000 fonctionnaires, sur la loi travail n° 2, sur la suppression de l’ISF pour les actionnaires. Il n’y répond pas. » Le candidat de gauche l’assure : « Nicolas Dumont veut devenir ministre, et pour ça il sera un député docile. Mais les électeurs de la circonscription ont-ils vraiment besoin d’un député docile de plus, ou d’un député plus rebelle, insoumis ? »

Personne ne se raconte d’histoire : les 4 000 voix de retard de François Ruffin sur le candidat REM ne seront pas faciles à rattraper. Mais « tout reste possible ». La candidate socialiste a déjà clairement appelé à soutenir le turbulent candidat. Même Maxime Gremetz est sorti de sa retraite pour lui témoigner son soutien. Et avec plus de 52 % d’abstention, « la bataille, c’est contre l’indifférence », estime Ruffin. Les militants de Picardie debout ! y croient, en tout cas. Et comme le dit leur cri de guerre repris en chœur : « À la fin c’est nous qu’on gagnera ! »