Ces quatre-là sont plutôt du genre à maîtriser leurs leçons sur le bout des doigts. Assez en tout cas pour pouvoir en infliger une, et magistrale, au président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez. Emma, Jules, Lola et Robin sont quatre excellents élèves du lycée Saint-Exupéry à Lyon. Les deux garçons finissent leur terminale en filière scientifique, les deux jeunes filles passaient, elles, le bac en filière économique et sociale. Tous les quatre sont doués pour raisonnablement espérer décrocher une mention très bien (accordée aux bacheliers qui obtiennent au moins 16 de moyenne aux épreuves). Une mention qui leur permettrait de décrocher 500 euros de « bourse au mérite » de la part du conseil régional.

Sauf que cette récompense, ces quatre têtes bien faites et bien pleines n’en veulent pas. Et ils ont décidé d’expliquer pourquoi dans une lettre ouverte adressée au président de région : « En tant que lycéen-ne-s concerné-e-s par cette “bourse au mérite”, nous avons décidé d’agir pour une région plus juste. Nous refusons d’utiliser cette prime pour un usage personnel, d’autant que cette distribution de fonds publics se fait en parallèle d’un désengagement massif de la région du secteur associatif, qui se traduit par un recul des services publics d’intérêt général. Nous considérons que cet argent ne nous revient pas, puisque nous en éprouvons moins le besoin que d’autres. Nous avons ainsi décidé de reverser les 500 euros que vous nous accordez à une association d’intérêt général. » Avec une finesse d’esprit, ils adressent à Laurent Wauquiez un vrai sujet sur lequel ils appellent à réfléchir celui qui n’a de cesse de regretter l’école de la troisième République et ses leçons de morale. « Nous pensons que le mérite se mesure au chemin parcouru et non au but atteint. » Lola précise : « C’est ce que nous étudions en cours : le milieu familial impacte la réussite scolaire, et il est impossible de définir la réussite uniquement par les notes. Elles ne sont pas le reflet de la quantité de travail, de l’investissement. » Emma enchérit : « On s’est dit que cette bourse, on n’en a pas besoin pour nos études. Mais qu’elle serait utile à des associations qui ­agissent concrètement pour aider des gens, pour l’accès à la culture, la sensibilisation. On voit ça comme une redistribution. »

Renoncer à 500 euros, juste avant les vacances d’été, cela demande un peu de courage. Les quatre amis ont lancé un appel à leurs camarades pour rejoindre leur initiative. Mission difficile. Beaucoup comprennent, soutiennent, mais ne sont pas prêts à les imiter. Pas très grave, leur soutien sur le fond et la médiatisation de leur action constituent déjà un premier pas. Et puis, explique Lola, « il est important que des bacheliers sans mention très bien soutiennent l’initiative », histoire de bien acter que la mention ne change rien à la valeur d’une parole citoyenne. Avec ce coup d’éclat, ces quatre ­lycéens entrent pleinement dans leur vie citoyenne, menant leur première vraie initiative militante. « On n’est pas engagé, ni dans des associations, ni dans des partis, explique Emma. Mais la politique, l’environnement, la culture, ce sont des sujets auxquels nous sommes sensibles. » L’idée, ils l’ont depuis un moment en tête : « Depuis le début d’année, raconte la désormais ex-lycéenne. On savait qu’on allait faire quelque chose, mais pas quoi. Après les épreuves, on s’est dit “c’est maintenant”. C’est là qu’on a trouvé le collectif Vent d’assos, qui nous a aidés à diffuser et médiatiser cette lettre. »

Leurs 500 euros, Emma, Jules, Lola et Robin les reverseront au réseau Rhône-Ain-Saône des MJC (maisons des jeunes et de la culture). « Ça a été dur de choisir, se souvient Emma. On a fini par se tourner vers les MJC, parce qu’elles représentent bien l’horizon vaste de l’action des associations. » Et surtout, ajoute Lola, « on a voulu que ce soit une association qui agisse dans le domaine de l’éducation, pour montrer que les progrès dans ce domaine ne s’obtiennent pas en donnant de l’argent à ceux pour qui ça va déjà. » À ce jour, Laurent Wauquiez n’a pas encore réagi à la lettre. Les quatre étudiants aimeraient obtenir une réaction de l’institution régionale. En attendant, ils valident leur brevet de citoyenneté avec la mention d’excellence.